Nous avançons sur le sentier de nos sœurs autochtones depuis l’automne 2013. Une compréhension de nos identités réciproques émerge des liens tissés à partir de rencontres inestimables avec celles de diverses communautés. Maillons du cercle de vie qu’ont façonné ces rencontres, nous sommes treize participantes de La Marie Debout à mettre le cap sur Québec les 19, 20 et 21 mars 2014 pour expérimenter, avec les femmes de Missinak, quelques volets de leur culture.
Parties de bon matin, les 13 se retrouvent au Musée des civilisations de Québec pour visiter l’exposition C’est notre histoire. Premières Nations et Inuit du XXIe siècle, présentée en ces termes :
Dans une approche résolument contemporaine, d’après une mise en scène d’Yves Sioui Durand, l’exposition propose une réflexion profonde sur ce que signifie être autochtone aujourd’hui. L’exposition s’attarde à faire comprendre la vision du monde des autochtones, les relations qu’ils entretiennent avec celui-ci, ainsi que les modes d’affirmation culturelle et les enjeux auxquels ils doivent faire face. Plus de 400 objets, des projections sur grand écran, des documents audiovisuels et des œuvres d’artistes autochtones contemporains illustrent le propos. Un grand récit – paroles poétiques et évocatrices rédigées par une jeune écrivaine autochtone, Naomi Fontaine – peut être écouté sur six bornes audio, correspondant au parcours de l’exposition.
La douleur ressentie par l’exploitation physique ou territoriale de leurs peuples s’exprime dans les documentaires visuels dispersés tout le long du parcours. Leurs chants et leurs danses, l’ingéniosité de leurs outils de travail ou la finesse des broderies de leurs vêtements, le respect de la nature qui les caractérise tant, la force vitale de leur jeunesse, donnent espoir aux collectivités des Premières Nations de reprendre la place première qui leur appartient sur le territoire ancestral. Les mots de Naomi Fontaine, à la sixième borne, résonnent dans nos coeurs :
Cette histoire est la nôtre. L’identité repose sur la fierté d’appartenir à ces époques millénaires. Descendants de peuples anciens, habitants d’un pays riche, immense. Autrefois, les sages avaient des visions. Ils voyaient au-delà du temps. Aujourd’hui, nous devons réapprendre à rêver au-delà des circonstances qui nous entourent. Regarder franchement la réalité et être reconnaissants d’être encore là. De ce rêve, nous bâtirons l’avenir. Nous choisirons d’être éduqués. Nous ne pouvons désormais plus vivre enfermés, nos esprits réservés. Nos filles écriront des livres. Nos fils feront des films. Toujours, ils raconteront nos histoires. Si un jour nous nous sentons faibles, que nos paroles sonnent faux, nous irons puiser à la source. À la rencontre de deux forces, la sagesse éminente de nos ancêtres et toute cette parole neuve.
Plus tard, nous découvrons notre chaumière, le garde-manger et le réfrigérateur garnis par nos sœurs de Missinak. Pénélope et Caroline viennent nous rejoindre après le souper pour un échange préparatoire aux découvertes du lendemain. Nous avons mille et une questions. Pénélope, de sa voix posée et de son rire soulevant les montagnes, se fait rassurante, lançant presque toujours « Je ne peux pas répondre à cela. Il faut le vivre. Faites confiance; abandonnez-vous ».
La nuit dépose sa chape d’hermine sur le décor. Au lever, la blancheur silencieuse jette des étoiles dans nos yeux éblouis. La route sera immaculée jusqu’à la terre de Missinak, à Saint-Tite-des-Caps. Au bout du chemin bordant la forêt majestueuse, Nathalie, Jenny, Caroline, Nancy et Pénélope nous ouvrent les bras, comme aux retrouvailles du Jour de l’an ! Nous nous étreignons, nous rions, heureuses et excitées.
Après avoir déposé nos choses, nous chaussons les raquettes pour marcher dans la forêt, en quête de l’arbre que nous adopterons. Fiers, droits, guérisseurs, ils se dressent dans les loges du loup, de l’ours ou du héron, de la loutre ou du hibou… Certaines des 13 ressentent un vrai coup de foudre pour leur protégé. Une profonde connexion à l’instant présent s’opère en nous.
Nous nous retrouvons dans la chaleur du chalet, pour un délicieux repas préparé par Nancy. Sébastien, le cousin de Jenny et notre Gardien du feu et des pierres, se joint à nous, timide et attentif à notre groupe.
Après le repas, Nathalie nous enseigne la fabrication de notre sac de médecine, tradition ancestrale innue. Les 13 se mordent la langue de concentration, tirent l’aiguille en se piquant le doigt, soupirent en tentant d’aligner les billes de verre qui le décoreront. Nous maîtrisons fort mal cet art !
Puis arrive le moment tellement désiré et tant redouté tout à la fois : celui de la tente de sudation (sweat lodge). Malgré des soubresauts d’insécurité partagés par nombre des 13, entre autres l’obscurité totale de celle-ci, Pénélope nous guide à nouveau par ses mots vibrants, empreints de tendresse, de paix. Nous allons entrer dans le ventre de Mère Terre, nous dit-elle; elle nous protège, nous berce et nous console. Lovées dans ce cocon, bien présentes les unes aux autres, nous invoquons les premières pierres (aussi appelées grands-pères ou mushum) chauffées à vif que notre guide arrose d’une eau salée (l’eau évoquant les grands-mères, kukum). Et la vapeur surgit. Et des pleurs. Attentive, Pénélope apaise nos craintes; ses mots envoûtants nous pénètrent comme parfum de sauge. Les 13 confient leurs questionnements, leurs terreurs, ou leur bien-être aux mushums qui les accueillent à tout jamais. Portées par une sérénité bienfaisante, nous vibrons aux émotions de nos sœurs d’âme. Il fait chaud, très chaud. Et très bon aussi ! Plus tard, nous serons émues d’avoir vaincu notre peur du noir, de nous être senties aussi fusionnées, d’avoir livré nos secrets intimes à nos grands-pères dans la sécurité de Mère-Terre.
Rassasiées par le ragoût d’orignal succulent et l’abondance de nos rires, nous roulons vers Québec quasi en silence, bravant la tempête qui déferle sur la région. Nous gagnons nos chambres sans nous faire prier. Peut-être voulons-nous nacrer sur notre cœur les précieuses révélations de cette journée afin de les rendre inoubliables.
Au matin du troisième jour, après un long tour de parole sur les expériences vécues, suivi d’un repas amical, nous quittons nos hôtes, nourries de l’étreinte magistrale de Pénélope.
Suzanne dira sur le chemin du retour : il y a un avant et un après Missinak…
Longue vie à Missinak, à son œuvre rassembleuse, guérisseuse, audacieuse !
Pour soutenir la maison communautaire et la terre de Saint-Tite-des-Caps, adoptons un arbre !
http://www.missinak.com/coordonnefaq/faq/adopterunarbre.html
Merci aux photographes, Nicole Desaulniers et Agathe Kissel.10 avril 2014
Trois jours avec nos sœurs de Missinak
2 réponses à Trois jours avec nos sœurs de Missinak.
Un récit de Véronique Morel